Idiot plot.

C’est le terme américain qu’a inventé Roger Ebert pour désigner des histoires contenant des problèmes qui auraient pu être résolu instantanément si les personnages n’étaient pas idiots.

Roger, c’était un journaliste, un critique de cinéma. Il a inventé d’autres concepts, mais celui-là m’intéresse aujourd’hui.

Si vous avez déjà conduit à la campagne, vous avez peut-être pu rouler pendant quelques longues secondes derrière une poule paniquée, qui restait sur la route. Quand on n’est pas pressé, ça peut être comique.

Certains personnages de films font ça aussi avant de se faire renverser, alors que le simple fait d’aller sur le trottoir aurait ajouté des obstacles à la voiture.

M’enfin…

Quand ce n’est qu’une petite scène, on oublie vite.

Mais quand TOUTE l’histoire repose dessus, ça devient un idiot plot.

C’est le cas de Harry Potter et l’Ordre du Phœnix, par exemple, qui a fait couler beaucoup d’encre.

Bon, si vous ne l’avez pas encore lu, vous pouvez faire semblant d’ignorer la liste ci-dessous (promis, je ne dirai rien) :

Pour rappel, Harry est un élève sorcier, de nouveau menacé par le terrible Lord Voldemort qui n’avait pas pu le tuer quand il était bébé.

À cause de ce premier assaut, les deux sorciers sont spirituellement liés. Au point qu’Harry commence à avoir des visions de ce que Voldemort voit. Dumbledore, vieux sage, directeur du college des sorciers, l’invite à suivre des cours d’occlumancie pour apprendre à fermer son esprit et éviter de s’unir avec Voldemort.

Le professeur désigné est Rogue, détesté par Harry.

 

Harry aurait pu s’éviter pas mal de soucis s’il avait agi à peu près logiquement. À commencer par écouter :

  • ses professeurs (Dumbledore & Rogue) lui « conseillant » de finir ses cours d’Occlumancie ;
  • Hermione qui sentait le piège venir (le piège consistant en des visions de son parrain Sirius en très mauvaise posture, pour que Harry se mette lui-même en danger) ;
  • Sirius, qui lui avait donné un miroir à double sens (un Skype version magique, si vous voulez). Ce miroir lui aurait permis de ne pas tomber dans le piège. (Ne cherchez pas le miroir dans l’adaptation cinématographique, il a été déplacé dans les épisodes suivants). D’ailleurs, Sirius ne lui rappelle pas non plus l’existence de ce miroir quand ils communiquent à travers le feu.

Bon, mais Dumbledore lui-même n’est pas mieux loti : il aurait pu prévenir Harry à peu de frais en lui conseillant de ne pas prendre ses visions trop au sérieux, sans pour autant lui révéler les secrets dont il voulait le préserver.

Et puis, honnêtement, ce bon vieux sage, qui s’est occupé d’ados une bonne partie de sa vie aurait pu flairer la difficulté quand il jette Harry dans les pattes de Rogue et simplement demander à ce dernier d’être un peu plus patient (l’enjeu était suffisant pour ça).

On accumule déjà pas mal de bourdes — il y en a d’autres dans le même tome…

D’un certain côté, c’est rassurant pour les auteurs : un idiot plot, ça arrive même à des auteurs renommés.

Oui, bien sûr, il faut poser un vrai grand problème, le structurer suffisamment pour éviter ces maladresses qui affaiblissent l’histoire et qui laissent un goût mitigé au lecteur (j’en parle longuement dans la formation Structurez votre roman ; le lien s’ouvre dans un nouvel onglet pour que vous puissiez continuer la lecture).

Pour autant, il ne faut pas non plus refuser systématiquement de rendre vos personnages idiots.

Pas par facilité d’auteur. Au contraire.

Si vous le présentez correctement, un « jeu de con » ou un travers psychologique devient passionnant car il renvoie à nos propres combats intérieurs.

Beaucoup de nos « choix » n’en sont pas, mais résultent de pulsions souterraines. Et il arrive souvent qu’on soit emprisonné par nos propres vices.

Certains psychologues vont même jusqu’à croire que la liberté n’existe pas.

C’est un jugement hâtif*, mais compréhensible devant la puissance suggestive, voire le contrôle de nos passions.

Raconter comment le personnage principal se prend les pieds dans le tapis à cause de ses vices permet de nous faire prendre du recul et nous fait aspirer à notre propre liberté.

 

Le problème des idiot plots est de laisser le lecteur en dehors. Il n’a pas accès aux causes qui font agir le personnage de manière illogique.

Attention, il ne s’agit pas de verser dans la psychanalyse de vos personnages.

Quelques indices suffiront au lecteur pour entendre sourdre les profondeurs passionnelles.

Au boulot !

Eric

 

* La psychologie expérimentale n’a pas les moyens de statuer de la liberté, sans verser dans la philosophie, c’est-à-dire sans sortir de son champ de compétence. Donc quand un psychologue parle de liberté, il ne fait plus de psychologie (c’est son droit, hein !). C’est comme si je prenais une passoire pour racler le fond d’un ruisseau : j’en tirerais toutes sortes de graviers et de pierres, mais je ne pourrais pas dire sans mentir « vous voyez bien que l’eau n’existe pas ! »

En philosophie, on peut prouver l’existence de la liberté par l’existence de l’intelligence (capacité d’abstraction). Mais ce serait un peu long à développer ici !