Des auteurs, j’en ai croisés de toutes sortes. Des hommes, des femmes, des étudiants, des retraités, des avocats, des illustrateurs, des comptables, des Français, des Belges, des Indiens, des Congolais, des angoissés, des enthousiastes, des colériques, des motivés, des brouillons, des scrupuleux…

Toutes ces rencontres, uniques, se rejoignent pourtant : l’auteur qui s’initie à l’écriture traverse les mêmes phases.
La principale, peut-être, est une révolution. Non pas au sens politique mais au sens de transformation.

Lors de la « révolution copernicienne », le Soleil ne tourna plus autour de la Terre.

Enfin…

… remarquez, techniquement, quand on le regarde dans la journée, le Soleil continue bien de tourner, relativement à nous. En ce sens Ptolémée a toujours raison (c’est de lui que nous tenons l’ancienne représentation géocentrique).

Et cette vision est bien utile aussi, pour la vie de tous les jours. À l’ombre d’un arbre, je vois le Soleil tourner et je peux ajuster mon hamac en fonction de sa trajectoire. Ici, la vision de Ptolémée est plus utile.

Ce que propose Copernic n’est donc qu’une autre représentation, un changement de point de vue, qui permet de prendre du recul et de comprendre autrement.

Ce n’est qu’une question de référentiel.

Ainsi sur le manège, l’enfant voit le monde tourner autour de lui. Il est le centre du monde.

En un sens, il a raison.

En un sens, seulement.

 

Et l’auteur ?

Lui aussi va grandir.

Parfois, c’est douloureux, quand il s’accroche à une vision étriquée de son histoire. Mais la plupart du temps survient l’étonnement.

S’étonner, c’est être secoué par le tonnerre, ébranlé jusque dans ses fondements par une surprise, une découverte.

C’est le début de la sagesse.

Alors, cette fameuse « révolution copernicienne » de l’auteur, quelle est-elle ?

D’après vous ?

 

C’est déplacer le centre, bien sûr !

 

Un auteur qui se décentre ne regarde plus son nombril de la même façon.

Au lieu de s’y complaire et de n’y trouver que son Ego, il contemple la trace de son origine. La cicatrice du cordon vers celle qui lui donnait la vie.

 

Et son œuvre ?
Ce n’est plus le seul fruit de son imagination créatrice et débordante.

Elle devient le nouveau canal pour communiquer, pour se donner à son lecteur.

 

Tenez, un simple exemple d’application de ce principe, dans la narration.

Les auteurs débutants sont souvent séduits par les mystères.

 

L’auteur réserve des informations cruciales et le susurre au lecteur : « Tu ne sais pas tout, mais je ne te le révèle pas encore. »

Il est mis temporairement à la porte, il languit en attendant son sort.

Bien sûr, des mystères, il en faut. C’est un outil utile. Surtout pour certains genres.

 

Mais ce n’est pas, loin s’en faut, la panacée.

Car en vérité, dans un (mauvais) mystère, c’est surtout l’auteur qui se fait plaisir, au détriment du lecteur. Il se joue de lui. Il exerce sa puissance (que le lecteur lui aura tacitement accordée en acceptant de le lire).

 

J’ai récemment téléchargé Hooked (littéralement « accroché » « captivé ») sur mon téléphone. C’est une application qui permet de lire des nouvelles racontées sous forme de SMS. Le concept est sympa. Si on est patient, on peut lire gratuitement par à-coups. J’en ai lu quelques-unes.

Bon, parfois la traduction est horrible.

Mais ce n’est pas tellement ça le pire.

Le pire, c’est justement que le mystère aplatisse tout, sous prétexte de tenir le lecteur en haleine, pour qu’il ne puisse pas attendre… et qu’il paie pour savoir la suite.

 

Cette tension artificielle n’est pas soutenue. Il n’en reste rien.

Et souvent, ça fait « pshit ! »

 

C’est dommage.

Ne commettez pas cette erreur pour votre roman.

 

Prenez votre courage à deux mains et invitez votre lecteur dans votre histoire, donnez-lui les clés.

Oui, réservez-en une si c’est vraiment utile.

Mais faites en sorte que votre intrigue soit viable même si votre lecteur connaissait la solution.

 

Encore une fois, oui, bien sûr, l’effet de surprise est un élément intéressant. Mais un bon mystère, c’est une histoire qu’on peut relire et apprécier en connaissant déjà la fin. Car ce qui intéresse le lecteur dépasse la langueur, la transcende.
Si le monstre surgit de nulle part, l’épouvante est directe, brutale, mais de courte durée.

En revanche, si le lecteur le voit roder, à l’insu de la victime, l’angoisse s’enracinera.

Vous le faites participer— comme vous, il en sait plus que vos personnages — et il tremblera pour eux.
C’est aussi un bon ressort pour la comédie. L’anticipation de la chute (« il va se le prendre… il va se le prendre… Paf ! Il se l’ai pris ! ») prépare et provoque l’éclat de rire.

 

Écrivez en regardant votre lecteur dans les yeux.

 

Au boulot !
Eric