intérieur nuit

Bonjour à tous,

Ce mois-ci, je vous propose une immersion troublante et dérangeante aux confins de l’Humanité. Loin de l’éthique et la morale, intéressons-nous à la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous.

Le second roman de l’américaine Marisha Pessl, Intérieur nuit, se place en incontournable dans le monde du thriller et du polar. Gallimard le publie en 2015 dans sa prestigieuse collection « du monde entier ». Créée en 1931, elle valorise l’émergence et la reconnaissance, en France, de nouveaux talents étrangers.

Pour quels lecteurs :

– Public averti ;

Certaines images et descriptions étant susceptibles de heurter certaines personnes, mieux vaut le lire à partir de 16 voire 18 ans pour les plus sensibles.

– Amateurs de sensations littéraires fortes ;

– Auteurs souhaitant améliorer leur maîtrise du genre et/ou du suspense.

Alors que le corps inanimé de la jeune Ashley Cordova est retrouvé dans un entrepôt abandonné de Chinatown, le journaliste d’investigation, Scott McGrath, demeure le seul à ne pas croire à un suicide. Et pour cause, le réalisateur, et père de la victime, Stanislas Cordova, muré dans le silence depuis trente ans est surtout connu pour ses films atroces aux méthodes douteuses. Déchu plusieurs années auparavant par cet homme de l’ombre, Scott décide de mener à bien l’enquête de sa vie : élucider les circonstances du décès d’Ashley. Cependant, il ne sait pas dans quoi il s’embarque…

« Quoi que vous pensiez de Cordova, que vous soyez obsédé par son œuvre ou que vous y soyez indifférent, il provoque toujours une réaction. »

Le roman s’ouvre sur un court prologue destiné à asseoir une atmosphère, digne d’un film d’horreur, qui perdurera jusqu’à la fin. À l’image de la citation, il y a une volonté d’avertir d’emblée le lecteur. Que vous aimez ou non, vous n’y resterez pas indifférent. En effet, sa grande force réside dans l’implicite et pousse le lecteur à des déductions bien plus horribles que la réalité.

Dès que je l’ai eu entre les mains, une chose m’a frappée : plusieurs pages noires interviennent au milieu des blanches habituelles. Toutes deux comportent divers documents (photo, e-mail, pages Internet, articles de presse et autres rapports). Si les blanches recensent des informations «officielles », les noires correspondent à celles dites « off ». Loin d’être anodines, ces pages assurent réalisme et crédibilité à l’intrigue tout en servant d’emphase à une kyrielle d’indices. Pour schématiser, disons que les premières construisent, puis déconstruisent le mythe de Cordova, tandis que les secondes le font vivre. Essentielles, elles sont comme les deux faces d’un même symbole.

Le second coup de maître intervient également dès la première ligne. L’auteure orchestre l’ensemble de façon à brouiller les limites entre réalité et fiction. Tout chez Cordova, son œuvre et sa famille, contribuent à lui donner vie. Notre empathie et sympathie à l’égard du protagoniste sont des outils garantissant une expérience hors du commun. Comme lui, le lecteur doit arriver à démêler le vrai du faux. Éviter les culs-de-sac au profit de chemins de traverses tortueux qui permettent néanmoins d’avancer.

Le style ne nous laisse pas en reste.

Écrit à la première personne du singulier, le lecteur entre dans la peau de Scott McGrath. L’intrigue s’articule en suivant ses réflexions et s’accompagne de remarques percutantes, sarcastiques et ironiques. L’humour revêt ici une fonction essentielle : contrebalancer le poids de l’atmosphère.

La narration au passé permet un mélange homogène entre souvenirs et moments présents. L’utilisation récurrente de l’italique permet la mise en relief d’un mot ou expression et impose un certain rythme, naturel ou non.

Ajoutez à cela des actions trépidantes où péripéties, révélations et découvertes déferlent avec frénésie.

Le verdict

« Le véritable artiste a besoin d’opacité pour créer. C’est d’elle qu’il tient son pouvoir. Son invisibilité. Moins le monde en sait sur lui, sur ses faits et gestes, ses origines, ses méthodes secrètes, plus il est fort. Plus le monde avale d’inanités à son sujet, plus son art se réduit et se dessèche jusqu’à devenir un chamallow tout ratatiné qu’on mange au petit déjeuner dans un bol avec du lait. »

L‘enquête sur la famille Cordova est un support invitant le lecteur à la réflexion. Sur lui-même, l’Humanité et l’autre. À l’image du réalisateur, notre alter ego opposé se nourrit du monde pour développer notre part d’ombre.

Finissons avec un petit détail qui a son importance. Au même titre que les avant-propos, les remerciements sont une mine d’informations. Si vous pensez que derrière ce chef d’œuvre ne se cache que l’auteure eh bien, détrompez-vous ! Une armée d’au moins soixante personnes est intervenue, à des degrés divers, tout au long du processus. Famille, amis, photographes, artistes, avocats, médecins et tout le petit monde de l’édition.

Je vous avouerai que, pour une fois, je n’ai absolument aucun reproche à formuler. Uniquement des enseignements à tirer et il me tenait à cœur de vous les transmettre.

Pour moi, ce roman est tout simplement « souverain, implacable, et parfait ».

coup de foudre public averti