Je trouve très enrichissant de visiter les autres arts pour y puiser des méthodes de travail. Aujourd’hui, penchons-nous un peu sur la sculpture.

Ce qui me frappe souvent, dans les statues, c’est leur présence et leur vie, comme si le temps retenait son souffle. L’artiste choisit de figer un instant, pendant lequel le mouvement des corps domine l’espace et lui donne du sens.

Admirons, par exemple, le travail d’Antonio Canova qui sculpte le baiser d’Éros.

Raconter une histoire : saisir l’instant

Éros et Psychè

Antonio Canova :
Éros éveille Psyché d’un baiser

PerseoMedusa / Shutterstock.com

Par ce baiser, Éros éveille la fille royale Psyché du sommeil mystérieux dans lequel Aphrodite l’a plongée par jalousie.

Remarquez que l’artiste ne sculpte pas le contact des lèvres.

Il garde les visages à distance : il met en valeur l’espace du désir et suggère le mouvement qui les unit.

 

P1080674 Louvre Psyché rwk

La poussée des jambes, l’équilibre des ailes, les bras aux courbes tendres, les mains délicates et l’angle des mentons ne sont là que pour ce vide sublime. L’ensemble de la composition guide le regard, le concentre. Chaque élément est au service de ce baiser suspendu.

Voilà une chose à voler sans scrupule pour l’écriture de votre roman : la saisie de l’instant est cruciale pour améliorer vos scènes.

Ne racontez pas pour remplir des pages.

Pensez chaque scène comme si vous deviez la sculpter dans un bloc :

  • – D’abord, écartez l’inutile. Ne commencez pas trop tôt et ne traînez pas après.

  • – Puis concentrez tous vos efforts sur LE moment : les préparations lui donnent son ampleur, mais elles s’effacent devant lui. Les descriptions servent de miroirChacune de vos scènes devrait avoir un tel moment qui aimante tous les autres, un point culminant.

Quand vous avez fini d’écrire votre scène, veillez à orienter le plus de détails possibles vers son point culminant.

Continuons à nous inspirer du travail des sculpteurs dans la mise en scène. Je vous invite à regarder attentivement la vidéo ci-dessous, de MrSvjeeta.

Sculpter son roman

Cette vidéo montre une sculpture numérique en accéléré. Le sculpteur utilise une tablette graphique et un logiciel de sculpture numérique (ZBrush). À coup de stylet et de touches de clavier, il dessine, tord, tire, cisèle, gonfle et ajoute de cette pâte virtuelle grise pour lui donner vie.

Tout part d’une boule… et d’une idée

Cette étape n’est pas vraiment visible sur la vidéo. Mais, on la devine dès le début. L’artiste a déjà une intention. Les trois personnages font un bloc. Très vite, les trois têtes apparaissent.

Peut-être la voyait-il intérieurement. Peut-être a-t-il dessiné la scène (ne serait-ce qu’une esquisse).

NOTE. Saviez-vous que le mot dessin vient de « dessein » (au sens de « projet ») ? Car avant d’être un art à part entière, c’était l’étape intermédiaire indispensable pour peindre, pour pouvoir réfléchir à ce qu’on veut faire et pour en parler à ses commanditaires.

 Il y a là un rapport évident avec le synopsis d’un roman. Synopsis signifie littéralement « vue d’ensemble ». Je sais qu’un certain nombre d’entre vous en écrive pour l’envoyer avec leur tapuscrit aux éditeurs (ce qui permet à l’éditeur de juger rapidement de l’histoire).

Mais le synopsis est d’une grande valeur pour l’écrivain dès le début de l’écriture car il lui permet d’écrire son histoire d’un trait, en quelques lignes et de « voir tout l’ensemble » de son projet.

Conseil : Écrivez un synopsis de travail, dès que vous avez l’idée de votre histoire

À partir de 1’20, il pose les bouches qui donnent l’orientation des têtes. Vous pouvez remarquer qu’il tourne sans cesse la sculpture, pour bien appréhender les volumes.

Il ne commence pas par les détails. Il pose l’équilibre général du bloc.

Vous aussi, en développant le synopsis de travail, vous pouvez déjà poser beaucoup de choses, que vous préciserez au fur et à mesure de vos besoins.

Le recul de l’artiste

Vers 2’15 de la vidéo, le sculpteur prend du recul. Il pose un premier socle et fait tourner sa composition dans tous les sens. Ce recul est essentiel.

On imagine bien aussi un peintre se retirer d’un pas ou deux et plisser les yeux ou incliner la tête.

Vous aussi, vous pouvez prendre du recul, en vous posant des questions ciblées : telle action est-elle logique ? Le point culminant de ma scène est-il bien défini ? La fin de l’histoire est-elle suffisamment préparée ? etc.

Encore une fois, ce recul peut tout à fait être pris alors que vous n’êtes pas encore entré dans les détails !

La cohérence interne des personnages

Regardez vers 7’10 : il pose le 4e personnage, en face du groupe, et prend le temps d’équilibrer sa composition générale. Il oriente correctement les arcs…

Puis le sculpteur met de côté les trois premiers pour se concentrer sur le nouveau venu.

Dans l’écriture d’une histoire, il est intéressant également de prendre la perspective de chaque personnage, tour à tour, pour en voir la cohérence interne tout au long de l’histoire. Mais on ne peut le faire que quand on l’a déjà placé en regard des autres. Car chaque personnage, comme chaque élément d’une histoire, doit servir au mouvement de l’ensemble. Il doit être orienté vers le point culminant de l’histoire, le Climax, avant la résolution.

Et vous, prenez-vous le temps de modeler vos histoires ? Quelles autres leçons pouvons-nous tirer de la sculpture ?