Je trouve très enrichissant de visiter les autres arts pour y puiser des méthodes de travail. Aujourd’hui, penchons-nous un peu sur la sculpture.
Ce qui me frappe souvent, dans les statues, c’est leur présence et leur vie, comme si le temps retenait son souffle. L’artiste choisit de figer un instant, pendant lequel le mouvement des corps domine l’espace et lui donne du sens.
Admirons, par exemple, le travail d’Antonio Canova qui sculpte le baiser d’Éros.
Raconter une histoire : saisir l’instant
Par ce baiser, Éros éveille la fille royale Psyché du sommeil mystérieux dans lequel Aphrodite l’a plongée par jalousie.
Remarquez que l’artiste ne sculpte pas le contact des lèvres.
Il garde les visages à distance : il met en valeur l’espace du désir et suggère le mouvement qui les unit.
La poussée des jambes, l’équilibre des ailes, les bras aux courbes tendres, les mains délicates et l’angle des mentons ne sont là que pour ce vide sublime. L’ensemble de la composition guide le regard, le concentre. Chaque élément est au service de ce baiser suspendu.
Voilà une chose à voler sans scrupule pour l’écriture de votre roman : la saisie de l’instant est cruciale pour améliorer vos scènes.
Ne racontez pas pour remplir des pages.
Pensez chaque scène comme si vous deviez la sculpter dans un bloc :
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– D’abord, écartez l’inutile. Ne commencez pas trop tôt et ne traînez pas après.
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– Puis concentrez tous vos efforts sur LE moment : les préparations lui donnent son ampleur, mais elles s’effacent devant lui. Les descriptions servent de miroir. Chacune de vos scènes devrait avoir un tel moment qui aimante tous les autres, un point culminant.
Quand vous avez fini d’écrire votre scène, veillez à orienter le plus de détails possibles vers son point culminant.
Continuons à nous inspirer du travail des sculpteurs dans la mise en scène. Je vous invite à regarder attentivement la vidéo ci-dessous, de MrSvjeeta.
Sculpter son roman
Cette vidéo montre une sculpture numérique en accéléré. Le sculpteur utilise une tablette graphique et un logiciel de sculpture numérique (ZBrush). À coup de stylet et de touches de clavier, il dessine, tord, tire, cisèle, gonfle et ajoute de cette pâte virtuelle grise pour lui donner vie.
Tout part d’une boule… et d’une idée
Cette étape n’est pas vraiment visible sur la vidéo. Mais, on la devine dès le début. L’artiste a déjà une intention. Les trois personnages font un bloc. Très vite, les trois têtes apparaissent.
Peut-être la voyait-il intérieurement. Peut-être a-t-il dessiné la scène (ne serait-ce qu’une esquisse).
NOTE. Saviez-vous que le mot dessin vient de « dessein » (au sens de « projet ») ? Car avant d’être un art à part entière, c’était l’étape intermédiaire indispensable pour peindre, pour pouvoir réfléchir à ce qu’on veut faire et pour en parler à ses commanditaires.
Il y a là un rapport évident avec le synopsis d’un roman. Synopsis signifie littéralement « vue d’ensemble ». Je sais qu’un certain nombre d’entre vous en écrive pour l’envoyer avec leur tapuscrit aux éditeurs (ce qui permet à l’éditeur de juger rapidement de l’histoire).
Mais le synopsis est d’une grande valeur pour l’écrivain dès le début de l’écriture car il lui permet d’écrire son histoire d’un trait, en quelques lignes et de « voir tout l’ensemble » de son projet.
Conseil : Écrivez un synopsis de travail, dès que vous avez l’idée de votre histoire
À partir de 1’20, il pose les bouches qui donnent l’orientation des têtes. Vous pouvez remarquer qu’il tourne sans cesse la sculpture, pour bien appréhender les volumes.
Il ne commence pas par les détails. Il pose l’équilibre général du bloc.
Vous aussi, en développant le synopsis de travail, vous pouvez déjà poser beaucoup de choses, que vous préciserez au fur et à mesure de vos besoins.
Le recul de l’artiste
Vers 2’15 de la vidéo, le sculpteur prend du recul. Il pose un premier socle et fait tourner sa composition dans tous les sens. Ce recul est essentiel.
On imagine bien aussi un peintre se retirer d’un pas ou deux et plisser les yeux ou incliner la tête.
Vous aussi, vous pouvez prendre du recul, en vous posant des questions ciblées : telle action est-elle logique ? Le point culminant de ma scène est-il bien défini ? La fin de l’histoire est-elle suffisamment préparée ? etc.
Encore une fois, ce recul peut tout à fait être pris alors que vous n’êtes pas encore entré dans les détails !
La cohérence interne des personnages
Regardez vers 7’10 : il pose le 4e personnage, en face du groupe, et prend le temps d’équilibrer sa composition générale. Il oriente correctement les arcs…
Puis le sculpteur met de côté les trois premiers pour se concentrer sur le nouveau venu.
Dans l’écriture d’une histoire, il est intéressant également de prendre la perspective de chaque personnage, tour à tour, pour en voir la cohérence interne tout au long de l’histoire. Mais on ne peut le faire que quand on l’a déjà placé en regard des autres. Car chaque personnage, comme chaque élément d’une histoire, doit servir au mouvement de l’ensemble. Il doit être orienté vers le point culminant de l’histoire, le Climax, avant la résolution.
Et vous, prenez-vous le temps de modeler vos histoires ? Quelles autres leçons pouvons-nous tirer de la sculpture ?
Pour ma part, je voudrai souligner l’importance du vide. Quand on sculpte c’est cela que l’on fait. On enlève de la pierre. Et d’après ce que je commence à comprendre de la littérature, les blancs, les non-dits sont essentiels, notamment pour laisser au lecteur sa liberté d’imaginer. En bref, on ne donne pas un cours. Et c’est là je dois dire où je me pose tout un tas de questions auxquelles je réponds à l’usage, mais peut-être auriez-vous des lignes directrices à donner.
En tous cas, grand merci. On avance, on apprend, et c’est original.
(nb : comme il m’arrive aussi de sculpter, je dois dire que ce qui est pas mal avec l’écriture, c’est que l’on peut casser des morceaux et puis les recoller. Ce n’est pas évident avec de la pierre :-))
On’ intégré la scène ..on assiste a la blessure qui va entraîner la mort par flèche,et on regarde l’homme de science emporte vers sa chute …vers le néant sans pouvoir lui apporter secours….
Je pense qu’un point essentiel dans la saisie de la scène est de savoir en dire assez pour que le lecteur vive ce qu’on lui raconte, tout en laissant une part de non-dit pour qu’il projette sa propre interprétation. Comme dans la sculpture de Canova où le baiser n’est pas montré.
En ce qui concerne la prise de distance avec le texte, elle me semble aussi primordiale : écrire un premier jet de la scène, y revenir quelques heures plus tard, laissez à nouveau, etc. Une scène a besoin de mûrir dans l’esprit de l’écrivain. Attendre qu’elle soit parfaite dans notre esprit pour la mettre sur papier est le meilleur moyen de ne jamais rien écrire !
tu as raison Rebecca, il faut du non dit et écrire sans chercher le parfait puis couper, réécrire. Mais j’avoue que souvent j’ai du mal à choisir quel non dit est le plus pertinent. Pour le coup, je suppose qu’on apprend en tâtant et qu’il n’y a pas de règles. Au plaisir.
Le vidéo montre exactement comment j’ai écrit mon roman (sauf que lui il a terminé ;)). Ceci dit, je pense que tous les arts sont pareils, il y a certes une subtilités entre chacun, mais ils sont plus ou moins identique. Merci pour le texte Eric, c’est toujours un plaisir de se comprendre après vous avoir lu!
Très bonne analyse. Mais elle ne montre qu’une possibilité alors qu’il y en a deux.
Dans cette démonstration, le sculpteur part d’une boule et l’augmente suivant les besoins. Il va donc d’un point vers un ensemble.
L’autre possibilité consiste à partir d’un bloc, donc d’un ensemble, et à le diminuer pour obtenir la sculpture.
Pour construire une scène, on peut partir d’un élément et rajouter pour obtenir la scène complète. Ou alors faire l’inverse, décrire l’ensemble et zoomer ensuite vers un élément, un personnage par exemple.
Ensuite intervient l’instant à saisir, qui se place dans la scène, et dépend en général d’une action. Ce que tu as très bien décrit.
Merci Mario !
Oui, mes analyses ne sont jamais exhaustives. Il faudrait écrire un livre ! Mais c’est une bonne chose, car chacun peut apporter sa pierre comme tu le fais régulièrement.:)
Pour reprendre ce que tu dis, certains dessinateurs par exemple, commencent par dessiner un œil, puis l’autre, posent la bouche… Cela demande une grande maîtrise des proportions. C’est un peu la même chose pour l’auteur : certains sont capables de raconter une histoire sans même avoir fait de plan ; mais ce sont des auteurs aguerris ! Ou alors, cela entraîne un lourd travail de réécriture.
Superbe article, et très original, merci !
Je vais en prendre note pour décrire mes scènes.
L’utilisation du synopsis aussi est très importante.
Je ne l’utilise pas forcément, par contre je dois savoir où je vais et je prépare, mature, le roman avec les personnages, les points-clés, leurs relations entre eux.
Tout dépend aussi du roman et du type d’histoire.
Mais je vais penser à faire un synopsis, ça donne un cadre et c’est d’autant plus facile par la suite.
Au plaisir
Merci Marjorie !
Le synopsis est un outil parmi d’autres. Mais il est bien utile.
Je découvre votre site ! Du coup je me suis inscrit pour recevoir le livre personnalisé ! 🙂
Merci Erique pour ce message très intéressent. En sculpteur, tu as aussi un de la renaissance (peut-être Da Vinci mais je suis pas sur) qui, d’un bloc, s’imaginait une idée. Il la créait à partir du bloc mais si, la forme n’est pas la bonne, n’est pas celle qui représente le mieux la sculpture, il abandonne le bloc et passe sur un autre. (Cela me rappelle un peu la manière de faire de Werber, d’écrire le premier jet de son roman, faire un deuxième jet sans rien reprendre du premier et ainsi de suite jusqu’à ce que l’oeuvre lui satisfait.
Oui ! Le sculpteur qui travaille la vraie pierre (non virtuelle) est particulièrement confronté à la résistance de la matière : devant un noeud ou un filon plus dur, il doit choisir : soit s’adapter et l’intégrer dans son oeuvre… soit changer de support !
Pour l’auteur, c’est plutôt l’inverse : c’est presque trop facile d’écrire, et grande est la tentation de « s’écouter écrire ». Cela demande beaucoup d’effort et d’humilité ! (et nous sommes TOUS à la même enseigne 😉 ).
Merci beaucoup Eric .En plus de la sublimité de ces statuees , tu nous fais un merveilleux cours tout au tour .
A vrai dire moi meme je pense agir de cette façon du fait que j ‘ai fait un peu les beaux arts . Mais là , franchement tu va en profondeure , et ça scucite en moi quelque chose que j’ utilise peut -etre sans me rendre compte .
Merci pour le compliment, Ouerk !