Bonjour à tous,

Ce mois-ci, j’ai choisi de vous faire redécouvrir un sous-genre de la SF qui déserte les rayonnages des librairies pour s’installer dans les salles obscures. Sur ses pellicules, Hollywood pousse chaque jour un peu plus les limites du sensationnel pour nous faire frémir. Les images ont une force indéniable, mais les mots aussi.

C’est pourquoi j’ai décidé de dépoussiérer le roman-catastrophe et de vous donner toutes les clés pour en écrire un qui fasse sensation.

Pour quels lecteurs ?

– Ados-Adultes ;

– Les inconditionnels de la SF dans tous ses états ;

– Personnes souhaitant écrire un roman non-chronologique.

Si Notre île sombre est maintenant considéré comme un classique du genre, il n’en a pas toujours été ainsi.

Écrit en 1972, il arrive longtemps après L’Hiver éternel de John Christopher ou encore Le jour des Triffides de John Wyndham. La page des années 50 est tournée et le roman-catastrophe, enterré. Cependant, le romancier ne s’avoue pas vaincu. Dans son avant-propos, il fait part au lecteur de ses réflexions et décode le succès de ses prédécesseurs.

Si vous êtes passionné de SF ou cherchez à en écrire, alors vous savez sans doute que c’est le seul genre à reposer sur un paradigme. Une représentation cohérente d’un monde qui n’existe pas encore (ou a déjà existé) à partir de connaissances scientifiques, technologiques…

Ici, il s’agit de faire naître une menace suffisamment forte pour mener un monde ou une civilisation à sa perte.

Vous l’aurez remarqué, je n’ai pas encore parlé ni du pitch ni des personnages. Nous les aborderons plus tard ; pour l’heure, place au contexte.

« Si les années 1950 avaient été propices à des livres pareils, le hasard n’y était pour rien : la Grande-Bretagne connaissait un après-guerre difficile, avec son économie sinistrée, ses villes en ruines, ses rationnements en nourriture et en électricité, le tout sur fond de tonnerre – le grondement sonore de l’empire qui s’effondrait. Différents auteurs et critiques ont signalé que [ces] romans avaient été écrits par et pour des gens dont le pays était plus déprimant que jamais, à tous les niveaux. »

Ainsi, avec Notre île sombre, Christopher Priest avait peu de chance de faire mouche. C’est la Une d’un magazine qui va changer la donne avec son titre « Quelle est la nature exacte de la catastrophe ? » Une question rhétorique pour beaucoup, un véritable sujet de dissertation pour lui. Voici ce qu’il en pense :

« Ces histoires traitaient toutes d’un enchaînement d’événements extérieurs menant à la chute de la civilisation au niveau mondial, mais une catastrophe, quelle qu’elle soit, n’a vraiment d’importance que par son impact sur les personnes concernées. »

À défaut de côtoyer personnellement la menace parfaite, il a dû la créer. Et là encore, c’est son époque qui va lui donner des pistes. En Irlande du Nord, les rebelles de l’IRA tentent en vain de bouter l’envahisseur anglais hors de l’Ulster. Pendant ce temps, les régimes dictatoriaux d’Afrique déclenchent un exode en direction de la Grande-Bretagne.

Voilà sa chance ! Il dépeindra un empire colonial en déclin, colonisé à son tour. La fin d’une suprématie, en toute ironie.

Pour donner corps à ses idées, il raconte la vie d’une famille anglaise lambda et la façon dont ce drame va bouleverser son quotidien.

Si l’on s’attache à la forme, une chose singulière frappe dès la première page : l’absence de chapitres. Le fil narratif se déroule à travers des paragraphes, plus ou moins longs et espacés les uns des autres, qui se répondent comme un écho. Une façon originale de mettre en page le chaos.

Voyez plutôt :

«J’ai la peau blanche. Les cheveux châtains. Les yeux bleus. Je suis grand. Je m’habille en principe de manière classique : veste sport, pantalon de velours, cravate en tricot. Je porte des lunettes pour lire, par affection plus que par nécessité. Il m’arrive de fumer une cigarette. De boire un verre. Je ne suis pas croyant ; je ne vais pas à l’église ; ça ne me dérange pas que d’autres y aillent. Quand je me suis marié, j’étais amoureux de ma femme. J’adore ma fille, Sally. Je n’ai aucune ambition politique. Je m’appelle Alan Whitman.

Je suis sale. J’ai les cheveux desséchés, pleins de sel, des démangeaisons au cuir chevelu. J’ai les yeux bleus. Je suis grand. Je porte les vêtements que je portais il y a six mois et je pue. J’ai perdu mes lunettes et appris à vivre sans. Je ne fume pas, en général, mais si j’ai des cigarettes sous la main, je les enchaîne sans interruption. Je me saoule une fois par mois, quelque chose comme ça. La dernière fois que j’ai vu ma femme, je l’ai envoyée au diable, mais j’ai fini par le regretter. J’adore ma fille, Sally. Il ne me semble pas avoir d’ambitions politiques. Je m’appelle Alan Whitman.»

Rassurez-vous, elles ne suivent pas toutes le même modèle, sinon l’intrigue n’avancerait pas. En revanche, elles gardent ce principe de parallélisme entre le passé et le présent et ce souci des détails qui confère son sens à nos rituels quotidiens.

Pour Alan, le passé évoque la nostalgie et l’insouciance de sa jeunesse. De son côté, le présent répond à la loi de la jungle. Il faut tuer pour ne pas être tué et voler pour survivre. Tout s’achète et se revend, surtout les femmes. Alan se voit alors contraint de pactiser avec l’ennemi pour avoir une chance de retrouver les deux amours de sa vie.

Jongler entre les deux s’avère parfois déroutant, d’autant que certaines situations se confondent. Toutefois, ces coupures narratives contribuent à forger un suspense haletant et à faire naître de l’empathie pour ce personnage, qui demeure pourtant assez flegmatique.

Vous l’aurez compris, ce Whitman n’est autre que l’œil de l’auteur. D’ailleurs, ce nom ne relève pas du hasard. En effet, il signifie « homme blanc ». Notons que la prononciation de « whit » fait aussi référence à « witty », « sage ».

Pour que son œuvre expose les effets de la politique, Christopher Priest, se place en observateur et opte pour un ton neutre. Une façon d’étaler, sans fard, ses théories et de laisser au lecteur le soin de juger.

Des phrases courtes. Des images fortes. Une menace qui touche la population jusque dans son intimité. Voilà le cocktail détonnant qu’il entend doser avec précision.

Le verdict

Dans un sens, ce roman est un hymne aussi discret qu’ironique à la philosophie Carpe Diem.

Incisif et particulièrement réaliste, il livre une vision presque post-apocalyptique de la société anglaise. Une civilisation qui confond pacifisme avec passivité.

« Les Britanniques s’étaient révélés incapables par nature d’une réaction modérée à un événement extrême. »

À l’heure d’une des plus grandes crises migratoires, ce livre revêt une tout autre dimension. Prémonition ou simple coup de chance, force est de constater qu’il dépeint la situation de l’Europe aujourd’hui, à la manière d’un miroir grossissant.

Petit bonus, la version parue en 2014 chez Denoël n’est pas celle de 1972, mais une nouvelle revisitée par l’auteur.

Et vous, quels événements ou conflits choisiriez-vous pour faire revivre le roman-catastrophe ?