Memor

Le 7 mai dernier, j’ai été invitée par Cultura à faire partie du jury qui a élu le meilleur roman jeunesse 2015 nommé Prix Plume 2015.

Des six lectures qui nous ont été proposées, « Memor le monde d’après » est celui qui m’a fait une forte impression, et comme il est aussi le gagnant de ce Prix, je tenais vraiment à vous en parler dans la chronique jeunesse de ce mois-ci.

Premier livre jeunesse de l’auteure Kinga Wyrzykowska, édité chez Bayard, Memor traite du difficile sujet de la mort, et plus précisément de l’après. Y-a t-il une autre vie ensuite ? Un monde différent où sont envoyées les personnes que nous avons aimées ?

Un sujet gonflé pour de la littérature jeunesse, et à l’annonce de ce thème j’ai pensé instantanément que la lecture n’allait pas être très joyeuse, voire même délicate à lire pour un roman jeunesse.

Vous vous doutez sûrement qu’en lisant ces premières lignes assez positives, il n’en est rien, et je me hâte de rentrer un peu plus dans les détails, en commençant par vous parler de l’histoire :

Alors qu’il a 10 ans, Tomek, perd son petit frère Tadzio dans un accident. Suite au drame, il prend l’habitude de beaucoup en parler avec Mira, sa voisine qu’il considère comme sa grand-mère de cœur ; et ensemble, lorsqu’il rentre de l’école, ils appellent les morts, espérant que Tadzio se manifeste. Avant son départ de Varsovie pour Paris avec sa famille, Mira lui fait alors cadeau d’une pierre, la Mnémosyne, qui a le pouvoir de conserver la mémoire des morts. Grâce à elle, Tomek pourra les entendre et leur parler. Aujourd’hui Tomek a 13 ans, et alors qu’il fait défiler les photos qu’il a prises il y a quelque temps avec son appareil, il tombe sur cette photo de Tadzio, prise le jour de l’Accident. Détail étrange : alors que l’arrière plan est bien visible et très net, Tadzio, lui, est flou, les traits brouillés. Tadzio est en train de s’effacer ! Un jour, alors qu’il est en classe, grâce à la Mnémosyne, Tomek bascule dans le monde d’après, à Memor, où il apprend que Tadzio est en danger.

Dans les premiers chapitres, on entre dans le quotidien de Tomek, et l’auteure retranscrit bien l’ambiance familiale quelque peu loufoque où il évolue, et où il est d’ailleurs un peu perdu, se débattant avec sa sœur Agatha, sa mère Lena, et son père, Piotr, en plein apprentissage du français, qui s’est improvisé chauffeur de taxi.

Kinga Wyrzykowska est polonaise et l’on retrouve dans ce premier roman, à plusieurs endroits quelques mots en polonais, qui donnent, je trouve, une originalité supplémentaire à ce livre qui réserve de belles surprises.

Cette première partie apporte quelques notes d’humour et de légèreté où les personnages sont bien décrits, ce qui m’a permis d’entrer facilement dans l’histoire ; et au fur et à mesure de la lecture, on bascule avec Tomek dans ce monde fantastique et surprenant.

Il découvre, grâce à Athos, qui l’accueille là-bas, les différentes planètes qui composent Memor, comme Ancestra, la planète des « êtres chers », où habitent les morts qui sont toujours dans le cœur des vivants, ou encore Kléos, la planète des hommes inoubliables, ceux qui ont marqué l’histoire.

Alors on sourit lorsque l’on croise dans ce livre Darwin, Marie Curie, et Janis joplin, l’idole de Tomek, entre autres ! Une manière, avec ce petit clin d’œil culturel d’amener le lecteur à découvrir ou à se rappeler ces personnages marquants !

Accompagné du fidèle Didier, un ptérosaure, qui est un savant mélange d’un toucan, d’une chauve-souris et d’une salamandre, Tomek pourra aussi compter sur l’aide de Max, un personnage bien particulier ! Une aventure pleine de rebondissements l’attend !

(…) Tout, autour de lui, était sombre, opaque et insaisissable. Il se crut évanoui. Pourtant, il parvint à ouvrir les yeux. Un voile cotonneux recouvrait sa classe. Il essaya de se retourner vers son voisin de table, en vain. Il ne réussit pas à bouger. « Je suis paralysé », songea-t-il, mais cette pensée ne l’effraya pas. Mlle Bertoux avançait dans sa direction. Elle n’en finissait pas de marcher, comme si elle avait des kilomètres à franchir. Elle était « de l’autre côté ». « De l’autre côté de quoi ? » se demanda-t-il, surpris par sa propre réflexion. La brume autour de lui s’épaississait. Elle se densifiait et prenait une consistance crémeuse. Il serra fortement sa Mnémosyne, semblable au touriste égaré en plein désert qui s’accroche à sa boussole. Sa tête tournait. Était-il en train de rêver ?

L’auteure nous décrit parfaitement le monde fantastique qu’elle a imaginé, et happée par l’histoire, j’ai suivi Tomek dans cette grande aventure qui s’avère très dangereuse, affrontant de nombreux obstacles qui se mettent en travers de son chemin. Mais impossible pour lui d’envisager de quitter Memor sans avoir sauvé son frère. Seulement, ne reste pas à Memor qui veut, et le temps est compté… !

Un univers fascinant où les morts vivent en sursis, suspendus au souvenir des vivants.

Avec Memor, Kinga Wyrzykowska amène une certaine émotion qui se conjugue parfaitement avec cet univers fantastique ; elle adoucit le sujet de la mort et le rend moins effrayant pour les jeunes lecteurs, en les emportant au cœur de son imagination de ce monde unique.

Un beau récit d’aventures qui délivre un message puissant sur la force du souvenir et qui apporte, avec délicatesse, une belle réflexion sur ce thème.

Un roman jeunesse que je conseille dès 13-14 ans, en espérant que vous prendrez autant de plaisir que moi à le découvrir !