« C’est une fille d’avril, pauvre de moi, une fille difficile, elle ne veut pas découvrir d’un fil tout ce qu’elle a, ni son cœur… »
— Quelle belle transition musicale avec la semaine passée, merci, Gaëlle !
— Oui, ça m’est venu comme ça. L’inspiration printanière, tu vois !
— Moui, je vois… Bref ! Venons-en à nos moutons !
— Rembobinons le fil de notre histoire, tu veux dire !
— Oh, joli ! Mais dis-moi, tu es en grande forme ?
— J’essaye, j’essaye ! Donc ce fil conducteur ?
— Eh bien ! Printemps, avril, ça se tient…
— Certes, mais encore faut-il proposer un exercice en rapport !
— Tu es pleine d’énergie, alors à toi l’honneur…
— Heureusement que j’ai bossé…
— Oh, ça va, hein !
— TssTss, bon, mes chers scribouillards, vous allez devoir travailler ensemble ! Votre texte devra avoir un rapport avec le texte du joueur précédent (le même thème, le même personnage ou la suite de l’histoire).
— Il faudra que le lien soit bien clair…
— Oui. Et le premier texte posté devra avoir un lien avec le mois d’avril.
— À vos aiguilles !
— Alors ?
— Tu m’impressionnes… Mais on ne fait pas de la couture !
— Tisser la trame d’une histoire qui n’est pas cousue de fil blanc, ça te parle ?
— Oui, en effet !
La rue de Renne était noire de monde, bourdonnante d’une vie agitée et futile. Tous ces visages inconnus, sans destination apparente, ces véhicules impatients, comme insatisfaits du décor… Les gens entraient et sortaient des boutiques en files ininterrompues et donnaient à la marée humaine une consistance aquatique, se faufilant dans les brèches les plus insignifiantes pour s’emparer du moindre espace. Instinctivement, je négociai ma trajectoire dans le flux continu pour entrer avec lui dans le temple Multimedia. Une fois le sas passé, le bruit de la rue s’estompa peu à peu pour faire place au recueillement ouaté qui émane des rayonnages. Je me dirigeai vers le comptoir de remise des travaux photos, et commençait à y faire la queue tout en cherchant dans mon sac le récépissé pour le travail que j’avais demandé. Autour de moi, l’agitation constante m’était source de malaise, menace mouvante, ombrée, sans but et sans visage. Vint mon tour, et les traits du vendeur s’animèrent pour moi. Un court instant, un lien, quelque chose. Il prit le bout de papier, me donna ma pochette en échange. De la monnaie, un sourire. Et déjà le regard ailleurs. Je m’éloignai, la pochette serrée contre moi, ne sachant toujours pas pourquoi j’avais commandé cet aggrandissement. Une grande inspiration, et je me jetai dans le flux continu, la marée, les ombres liquides.
Ma porte se ferma avec un petit bruit satisfait. Un cliquètement huileux et familier, immédiatement lénifiant. Je jetai mon sac à main sur une chaise, mon manteau sur une patère, et mes chaussures où bon leur semblerait, puis franchis le seuil du salon. Ayant posé la pochette sur la table basse, je fis un crochet par la cuisine pour me préparer un thé, et revins avec mon plateau, prête pour la rencontre. Je ne connaissais pas l’homme sur la photo, savais qu’elle était floue, mais sentais confusément qu’il y avait là bien plus que je ne voulais y voir. Je bus la première gorgée de mon thé chaud, me laissai imprégner par sa douce et bienveillante chaleur, puis tendis la main vers la pochette. L’homme, le flou, tout y était, comme dans mon souvenir, comme sur la version numérique que j’avais regardée cent fois sur mon écran. Et pourtant, cette épreuve papier prenait entre mes mains une autre dimension, une réalité bien physique qui m’autorisait à me laisser aller, pour aller à la rencontre de ce qui s’y trouvait. Je ne compris pas l’émotion, lorsqu’elle se présenta à moi, les larmes qui montèrent, et je mis un temps infini pour comprendre que je n’étais pas sur cette photo, mais qu’elle hurlait ma présence. Une gorgée, chaude, bienveillante. Certes, j’avais appuyé sur le déclencheur et cette image parlait donc de moi, mais il y avait autre chose. Une autre gorgée, et c’est alors que je compris, le bras resté en suspens. Pour la première fois, je remarquai la ligne tendue entre la canne et l’eau, et commençai à saisir tout ce que cela impliquait. Le poisson. Il n’apparaissait pas sur la photo, mais tout, implicitement, était tourné vers lui, vers moi. Doucement, mes larmes s’écrasèrent sur le papier de l’agrandissement en petits bruits mats et liquides.
Tout dans ma vie était lié par un fil continu et, si je me sentais plus proche du poisson que du pêcheur, c’est que je n’avais jamais vraiment su me défaire des hameçons. Ma mère et ses messages d’amour qui m’encombraient aujourd’hui, cet homme, ces hommes qui se ressemblaient tous et me ressemblaient si peu, ce père dont je ne savais rien et que je cherchais en tout… Autant de pointes à mes lèvres, d’autant plus douloureuses que je me débattais, empêtrée dans mes liens. Il était temps que cela cesse.
*
***
J’avais appuyé sur la sonnette et comme d’habitude, j’entendais les bruits empressés à l’intérieur de l’appartement, ces glissements de souris affairée à restaurer l’illusion de la perfection, un « Voilà ! voilà ! » jeté de loin, et les pas qui se rapprochent. Mon coeur battait à tout rompre. J’entendis le verrou, pris une inspiration, et la porte s’ouvrit devant moi. Le sourire affable de ma mère se figea alors qu’elle découvrait les tensions sur mon visage et dans mon corps.
– Qu’est-ce qui se passe ma puce ? demanda-t-elle anxieuse.
– Maman… il faut que tu me racontes pour Papa.
L’arrête me restait en travers de la gorge. Comme toutes celles que j’avais avalées au cours des différents mois d’avril de ma déjà longue existence.
Heureusement, j’ai une capacité impressionnante, je digère tout, à la manière du boa. Cela me prend du temps, mais j’y arrive. Cela ne veut pas dire que je pardonne, ou que j’oublie. Simplement je digère et ma gorge se libère.
Sur le moment cela ne m’empêchait cependant pas de souffrir. Comment avais-je pu oublier l’instant d’une rencontre et d’une photo, qu’une fois encore j’avais capitulé face à lui, à son nécessaire amour, dont je ne voyais plus depuis si longtemps le moindre signe de vie ?
« En avril, n’ôte pas un fil. » Je voudrais pourtant tellement ôter mon fil à la patte. Y arriverais-je « en mai, fais ce qu’il te plaît » ?
Merci à tous de votre participation, ça fait vraiment plaisir de voir que cet exercice vous plaît, mais comme il y a eu a priori plusieurs participations simultanées et pour que nous continuions d’équerre, je propose au suivant d’écrire « la suite » du texte de Maud ! 🙂
Désolée, quand j’ai commencé à répondre il n’y avait que le commentaire de Mariette. :/
Ce n’est pas grave Maud ! 😉 Ton texte fait parfaitement le lien avec celui de Mariette donc rien de grave !
J’avais désobéi et j’étais contente. Pour la première fois de ma vie, je ne suivais pas les conseils de ma tendre mère (pourtant bien intentionnée !).
Avec rien sur le dos, j’affrontais le vent, fière, j’aurais voulu affronter mes problèmes personnels avec autant d’audace, j’essayais de me tenir la plus droite possible, de regarder loin, et d’avancer. Je trouvais l’image amusante, comme une allégorie de mon existence.
Plus tard, au « fil » de ma promenade, je rencontrai un pêcheur. Je lui demandai après quelques échanges, s’il permettait que je le photographie. L’image étant armonieuse, les couleurs superbes, le vert de l’herbe était intense, et contrastait avec la tenue sombre du vieil homme. L’ensemble offrait un clair obscur parfait face à l’eau joueuse qui clapotait devant eux. Le figé contre le mouvement permanent.
Je faisais des réglages, pour un rendu superbe, la mise au point au poil, celle que tous les amateurs de photo recherchent !
Quand clic ! La photo était prise ! Mais elle ne donnait rien de ce qu’elle promettait. L’homme avait ferré juste au même moment ! Et quel poisson … D’avril.
Depuis mon tout jeune âge ,je n’ai cessé d’entendre cet adage qui dit : « En avril ,ne te découvre pas d ‘un fil » .Ainsi ,je part de chez -moi un beau matin habillé du même accoutrement que celui du mois de mars .Je rencontre un ami et tous les deux ,nous décidâmes de se donner une ballade par ce beau temps merveilleux de ce mois béni où le soleil commençait à montrer progressivement son ardeur .
Au fur à mesure que nous marchions tout en baillant ,nous avions ressenti subitement une envie irrésistible d ‘aller du côté de la mer .Nous sommes assis sur un rocher et nous contemplions les pécheurs à la ligne . Mais quelques jeunes téméraires ,étaient en train de nager dans les eau calme de cette journée printanière .Plus le temps passait ,plus ,la chaleur me gênait au point de regretter de ne pas me jeter à l’eau comme les autres bambins .A un môment donné ,c’est mon compagnon qui avait décidé de se jeter à l’eau et j’en fit de même .
Je ne me suis pas relue et voilà: je passe du « elle » au « je » et utilise 2 fois « s’obstine ». Désolée pour les lecteurs de ce passage. j’au voulu aller trop vite!
Bravo Marie ! 😉
C’est drôle, le passage de la 3e à la 1e personne ne m’a pas gêné. J’espère que les suivants tiendront compte de cette expérimentation narrative ! 😉
Merci Éric mais j’espère faire mieux la prochaine fois. C’était un peu de l’écriture automatique du réveil! Je vais quand même garder en tête ce concept du passage du « elle » au « je ». Merci encore pour vos conseils toujours profitables. Passez une belle journée
« En avril, ne te découvre pas d’un fil! » lui répétait sa sentencieuse mère, chaque année.
Elle avait eu bien tort de l’écouter, elle suait à grosses gouttes, les bras chargés avec le pull, le manteau, le bonnet, l’écharpe… Comment elle allait faire, maintenant, pour prendre des notes et des photos?
Elle avait connu des problématiques plus compliquées à résoudre. Tenez, hier par exemple quand elle s’était obstinée à vouloir que son aspirateur la suive dans la salle de bain alors qu’il était branché dans la chambre. Elle s’obstinait à lui tendre le cou dans l’espoir qu’il s’allonge encore un peu plus et qu’il engloutisse ce mouton de poussière trônant dans le coin là-bas. En fait, il suffisait de couper le cordon et de le rebrancher dans le couloir. Couper le cordon. J’imaginais ma mère en train de me regarder, le corps encombré des ces vêtements de mars. C’est décidé, j’allais les poser par terre. Il me suffit d’en faire une boule compacte pour ne pas prendre trop de place. Ou demander un peu d’aide au jeune-homme souriant et compatissant qui me regarde me battre avec mes oripeaux. Faire un choix. Vite.
C’est avec plaisir que le gentil garçon ouvrit pour moi la porte du motel que j’avais loué pour la semaine. Après la mort de mon mari, j’avais voulu me changer les idées. Passer avril au Québec, voilà qui me dépaysera pour de bon. Je remerciai le garçon et laissai sur le lit, les vêtements d’hiver trop encombrants. Vêtue d’un seul coupe-vent, je pars à la conquête des Laurentides. La montagne, à ma grande surprise est encore enneigée. Le printemps tente de faire sa place entre les branches de conifère. Le chaud soleil me réconforte et je me sens revivre. Mais au Québec, le temps surprend souvent et voilà que les nuages s’amènent. Le vent se lève et le temps se rafraichit. J’entends encore ma mère me rabattre les oreilles avec son: « En avril, ne te découvre pas d’un fil. »
Il y a des moments où la vitesse ne nous aide pas beaucoup. Elle est même invalidante. Partagé par la nécessité de la situation et l’embarras qu’elle occasionne , on se retrouve face à l’indécision. Et là sous le regard à la fois moqueur et bienveillant de ce jeune homme inévitablement preste et sûr de lui dont les gestes harmonieux vous renvoie aussitôt au rang de bipède décérébré, l’exiguïté du monde vous saute au visage. Une onde désagréable vous cisaille la colonne vertébrale et le ridicule envahit votre esprit comme une prison.
Tout à coup, sans indice avant coureur, sans en connaître la raison, on lâche prise. Les chaînes cassent, les murs tombent, les barreaux fondent. Une tension abdominale, des soubresauts incontrôlables, signes que tout votre corps est prêt et converge vers la seule et unique libération salvatrice. Le fou rire. Il vous prend et ne vous lâche plus. Et le top, c’est que le jeune homme s’est approché et qu’il rit avec vous.
Doucement, il prend mes affaires et aide a me relever.