J’aimerais commencer cette chronique en vous précisant quelque chose. Je l’écrit de façon bien différente de ce que je fais habituellement et je vais vous expliquer pourquoi. Face à ce roman, je suis tout bonnement incapable de faire ce que je fais en temps normal. Juger l’écriture, parler de points négatifs. Comment peut-on ne serait-ce qu’avoir l’envie de critiquer le témoignage de quelqu’un qui a vécu l’enfer ? Moi je ne peux pas. Ici, ce n’est pas le roman en tant que tel que je veux vous présenter, mais les faits, ainsi que l’homme qui a accepté de partager avec nous son histoire.

Le convoi du 3 février 1944 emporta vers Auschwitz 1214 déportés (662 hommes et 552 femmes), dont 184 enfants de moins de dix-huit ans et 14 octogénaires. 166 hommes furent sélectionnés à l’arrivée, le 6 février ; ils reçurent les matricules 173228 à173393. Les femmes furent au nombre de 49 et reçurent les matricules 75125 à 75173. 985 personnes furent immédiatement gazées. En 1945, il ne restait que 26 survivants dont 12 femmes.

 

Des chiffres effrayants. Parmi ces hommes, Paul Chytelman, ou Paul Bardet, matricule 173254. Dans « Le courage d’espérer », cet « homme-courage » nous raconte son calvaire, de sa fuite de Paris jusqu’à sa libération par les Anglais. Après avoir grandi dans la misère à Paris suite à son immigration depuis la Pologne, il se voit contraint à quitter la capitale où l’occupation commence à obliger les juifs à porter l’étoile. Il est âgé de vingt et un an lorsqu’il est arrêté dans un petit village de Lozère dans lequel il avait trouvé refuge et où il commençait à connaître l’amour. À partir de ce jour, il se verra envoyé à Drancy puis Auschwitz, transporté dans des trains de marchandises avec ses compagnons d’infortune, marchant dans des conditions déplorables, risquant la mort à la moindre erreur. Ce témoignage est à la fois touchant, triste et empli d’espoir. Il nous montre que dans les moments les plus sombres, des hommes comme Paul Chytelman et celui qu’il considérera comme son frère, Jacques, gardent en eux la force de vivre… mais surtout le courage d’espérer voir un jour la fin de leur calvaire.

Regardez par cette fenêtre…vous apercevrez au loin des cheminées. C’est le crématoire. Un transport est arrivé ce matin. Vous verrez la fumée, c’est celle des femmes, des enfants, et de tous ceux qui n’entreront pas dans le camp aujourd’hui.

 

Tout au long de son récit, Paul Chytelman nous décrit l’horreur, mais pas comme nous l’avons toujours vu. Là où beaucoup d’écrivains relatant ces évènements nous la décrivent dans les moindres détails sanglants qui nous retournent le cœur et nous donnent la nausée, Chytelman nous la montre simplement, sans tomber dans le détail morbide et quasiment insupportable à lire (ou du moins, pour quelqu’un d’aussi sensible que moi). Et pourtant, il n’en reste pas moins touchant et difficile. Difficile dans le sens où il est facile de supporter et d’oublier quelque chose quand on ne l’a jamais vécu. Mais lire, découvrir un homme qui l’a vécu, qui nous rappelle que tout cela est bien vrai, que tous ces actes, ces atrocités dont nous avons tous entendus parler ont réellement eut lieu, nous prouve que l’histoire est là pour qu’on se souvienne de ces hommes et femmes traités comme des animaux. Mis en rang, identifiés par des numéros, souffrant de sous-nutrition, travaillant dans des conditions plus que déplorables et abattus lorsqu’ils deviennent trop faibles, même l’enfer semble être un centre de loisir à côté de l’Holocauste.

Qui étais-tu, Michel d’Avignon, que j’ai tué pour que tu ne souffres plus à retenir tes tripes qui te fuyaient ?

Peut-être est-ce l’un des passages qui m’a le plus marqué dans ce roman. Tuer l’un de ses compagnons, âgé d’à peine plus de dix-huit ans, afin de lui éviter de mourir dans cette atroce souffrance, doit être une décision que bien peu d’entre nous aurais le courage de prendre. Je crois que ce récit est avant tout sa façon de rendre hommage aux personnes qui l’ont accompagné, qui ont été présentes à ce moment de sa vie. A ceux qui ont survécus, à ceux qui sont mort et qui restent gravés dans sa mémoire, à ceux qui lui ont permis de saisir les quelques petites chances qui se sont offertes à lui. Mais avant tout, de dédier ce livre à son frère de galère, Jacques, sans qui il ne serait certainement plus là pour nous raconter leur histoire.

            Je finirai cet article par ce dernier mot : l’histoire ne doit jamais être oubliée. Tant qu’il y aura des gens pour se souvenir de tout cela, de ce que l’homme est capable de faire, alors toutes ces personnes, ces 80 000 français juifs déportés et dont seulement très peu sont revenus resteront à jamais vivants. Faites les vivres par vos mémoires.

Lilou

Et maintenant, quelques mots de Paul Chytelman, qui a eu la gentillesse de répondre à mes questions :

Quelle a été votre motivation principale lorsque vous avez écrit « Le courage d’Espérer » ?

La motivation principale fut qu’à l’issu d’une conférence faite à Marseille il y avait une telle incompréhension dans le regard des auditeurs, que j’ai décidé de fixer dans du « non volatil » le récit des avatars subit par les déportés. Dès le départ du train qui me « remontait » j’ai pris une feuille de papier et j’ai commencé à jeter des phrases. Arrivé à Dijon, la trame était pour ainsi dire terminée, le reste fut facile à achever.

Avez-vous rencontré des problèmes particuliers pour faire éditer vos deux récits?

La seconde préoccupation fut que quelques années après notre retour et la formation d’organisations politiques hitléro-nationaliste avec à leurs têtes des négationnistes du style Faurisson, les associations d’anciens déportés se lancèrent dans la défense de la mémoire. Un afflu de textes et de livres de toutes catégories furent édités, les nouveaux moyens de l’audiovisuel le permettait. D’où l’immense difficulté de se faire éditer, les maisons d’éditions étant submergées par des manuscrits de différentes valeurs littéraires et quelquefois peu fiables. J’ai comme beaucoup tenté ma chance puis de guerre lasse, remisé mon texte au fond de mon armoire. Un jour mon épouse ayant lue un ouvrage ésotérique issu d’une maison d’édition avignonnaise, me poussa à lui adresser mon manuscrit. Surprise ! je reçu quelques jours après un appel téléphonique me faisant savoir qu’ ils allaient m’éditer. Depuis gentiment  » je fais dans les 10000 ex. ».

Aujourd’hui, vous êtes très actif, notamment auprès des écoles. Est-il important pour vous de témoigner de votre passé auprès des nouvelles générations ?

Il est vrai qu’il est et reste important que nous intervenions dans les établissements scolaires. Si nous, qui avons subi ce que vous savez, ne mettons pas en garde contre les racismes, l’antisémitisme ou les communautarismes, pourquoi avons-nous donc combattus en 39/45 contre les nazis. Devons-nous laisser sans rien dire l’obscurantisme envahir le pays des Lumières ? Les jeunes, il faut le comprendre ont besoin de repères, à nous de les informer du danger du laisser-aller, c’est à dire du laisser faire.

Suite à votre libération, qu’est-ce qui vous a semblé le plus difficile ?

Quant à ce qui fut le plus difficile après notre libération, c’est de devoir regarder les yeux et les visages des parents de tous ceux qui n’étaient pas rentrés, et de deviner leurs pensées: Pourquoi lui ?! ! !  et de nous poser cette question POURQUOI MOI ! ! !

 

PS : Je vous invite à découvrir son blog : http://paulchytelman.over-blog.com/articles-blog.html ainsi que ses deux romans en cliquant sur les images ci-dessous :

Je tiens aussi à remercier Christine (oui notre Christine) de m’avoir mis en relation avec Paul Chytelman, un homme dont je suis admirative. Merci de tout cœur pour cette belle rencontre.