Le principal avantage de la nouvelle, pour l’auteur, est sa brièveté.

Plus que dans le roman, l’auteur peut essayer, mélanger, tester, se libérer de la narration, jouer avec les règles, manipuler les outils dramaturgiques…

Alors que le roman approfondit et apporte la plénitude d’une histoire, la nouvelle cherche la brillance, l’étincelle, le trait, l’effet, la chute ou autres ricochets.

Une nouvelle est définie par sa taille. Certains distinguent même les nouvelles « très courtes » des « novellettes » et des « novellas »… Honnêtement, ce n’est pas vraiment important de le savoir précisément, sauf si vous présentez votre œuvre à un concours (qui précisera ses conditions).

[EDIT : Une charmante bibliothécaire me signale un CONCOURS DE NOUVELLES. C’est une excellente initiative et je vous invite à me transmettre les autres concours que vous rencontrez. Vous trouverez tout ça sur le forum : Coin détente > Découvertes d’ailleurs > Concours lien direct : http://www.ecrire-un-roman.com/forum-ecriture/viewforum.php?f=30 ]

En revanche, il me semble important de comprendre l’influence du nombre de mots sur le développement d’une histoire et la forme libre impliquée pour la nouvelle.

La tradition vivante montre que pour nouer et dénouer un problème, poser des personnages, déployer une thématique, bref, pour raconter une histoire,  il faut au moins 40 000 mots. En dessous, ce n’est plus un roman.

Remarquez, si la quantité minimale est une condition, ce n’est pas la quantité qui fera de votre manuscrit un roman — c’est évident, mais je préfère le redire : c’est en construisant votre histoire que votre livre se remplira naturellement.

Ne cherchez pas la quantité, mais l’intensité !

Plus encore que pour le roman, dans la nouvelle, il faut penser qualité, à tous les niveaux.

« Une nouvelle trop courte (c’est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue » disait Baudelaire.

Alors, distillez, concentrez !

La nouvelle recèle un condensé narratif, un bonbon acidulé qu’on laisse fondre sur la langue. Comme le lecteur la lit d’une traite, vous avez un contrôle supérieur de son intensité.

nouvelles

Le laboratoire d’écriture

Pour l’auteur, la nouvelle est par excellence le Laboratoire, un terrain de jeu à découvrir !

Son format aguicheur implique toujours une certaine frustration : si l’on a envie d’en savoir plus, vous avez gagné !

Puisque vous ne pouvez pas écrire une histoire complète, les règles sont plus souples. Alors profitez-en !

Votre nouvelle peut être une série de fragments d’histoires, comme des éclats qu’on aurait rassemblés et collés bout à bout. Faites-en un collier passionné, poétique, humoristique, pétillant, grinçant, sombre ou de toutes les couleurs… Faites sonner les mots, inventez des images fraîches.

Tant que vous arrivez à accrocher votre lecteur jusqu’à la fin, vous avez gagné.

C’est l’occasion de tester des genres que vous ne connaissez pas, ou de tordre ceux que vous connaissez.

 

Vous pouvez aussi choisir de reprendre un schéma d’histoire, dont le climax serait préparé rapidement. Gardez en tête que vous n’avez pas le temps de le développer. Aussi vaut-il mieux en faire une tranche fine :

Partez de la fin, visez un effet saisissant, ou une chute, et faites-en une préparation simple. Quelques actions suffisent pour créer la sympathie au personnage principal. Enlevez tout ce qui n’a pas de goût, ou bien assaisonnez de détails croustillants !

Si vous devez surprendre votre lecteur à la fin, cachez les informations clefs, mais laissez-lui quand même des indices au début, qui prendront sens à la fin.

Prenons un exemple : vous trouverez ci-dessous une petite nouvelle de Léon Tolstoï.

D’après vous, comment a-t-il procédé pour l’écrire ? Avait-il une intention bien ciblée, ou bien s’est-il laissé porter par sa narration ?

Léon Tolstoï, TROIS QUESTIONS

CONTE

Un roi pensa, une fois, que s’il savait toujours le moment où il faut commencer chaque œuvre, s’il savait avec quelles gens il faut travailler, avec qui il ne le faut pas, et, principalement, s’il savait toujours quelle affaire est la plus importante, alors il n’aurait jamais d’ennuis. Après avoir réfléchi, le roi fit savoir dans tout son royaume qu’il donnerait une grande récompense à celui qui lui apprendrait comment savoir le temps opportun pour chaque affaire, quelles sont les gens les plus nécessaires et comment ne pas se tromper dans le choix de l’œuvre la plus importante de toutes.

Et des savants commencèrent à venir pour répondre à ces différentes questions.

À la première question les uns disaient que pour connaître le temps opportun pour chaque affaire il faut se tracer d’avance l’emploi du temps, du mois, de l’année et le suivre strictement. C’est seulement alors, disaient-ils, que chaque chose se fait en son temps. Les autres disaient qu’on ne peut décider d’avance quelle chose il faut faire en tel temps, mais qu’il ne faut pas s’oublier dans des amusements stériles et être toujours attentif à ce qui arrive, et alors faire ce qu’exige le moment. Les troisièmes disaient que le roi aurait beau être attentif à ce qui arrive, un seul homme ne peut jamais décider sûrement en quel moment il faut faire telle ou telle chose, qu’il faut avoir le conseil d’hommes sages et, d’après ce conseil, voir ce qu’il faut faire et en quel temps. Les quatrièmes disaient qu’il y a des affaires pour lesquelles on n’a pas le temps d’interroger des conseillers et qu’il faut décider à l’instant si c’est le moment ou non de les commencer. Or pour le savoir, il faudrait savoir à l’avance ce qui arrivera ; et cela, seuls les mages le peuvent. De sorte que, pour connaître le temps opportun pour chaque affaire, il faut interroger les mages.

Les réponses à la seconde question furent aussi diverses. Les uns disaient que les hommes les plus nécessaires aux rois sont ses aides dans le gouvernement ; les autres nommaient les prêtres. Les troisièmes disaient que les hommes les plus nécessaires pour les rois sont les médecins ; ce sont les soldats, disaient les quatrièmes.

À la troisième question : quelle œuvre est la plus importante au monde ? les uns répondaient les sciences ; les autres, l’art militaire ; les troisièmes, l’adoration de Dieu.

Vu la diversité des réponses, le roi n’accepta aucune d’elles et ne récompensa personne ; et, afin d’avoir une réponse sûre à ces questions, il résolut d’aller interroger un ermite, réputé pour sa sagesse.

Cet ermite vivait dans la forêt, ne sortait jamais, ne recevait que des gens simples. Aussi le roi s’habilla-t-il de vêtement pauvres et, avant d’arriver avec sa suite jusqu’à la cellule de l’ermite, il descendit de cheval et s’y rendit seul à pied.

Quand le roi s’approcha de l’ermite, celui-ci était devant sa cellule et retournait un massif. En apercevant le roi, il le salua et aussitôt se remit à creuser.

L’ermite était maigre et faible. Il enfonça la pelle dans la terre puis, ayant retourné le petit tas de terre, il soupira lourdement.

Le roi s’approcha de lui et lui dit :

— Je suis venu chez toi, sage ermite, pour te demander la réponse à trois questions : Quel temps faut-il connaître et ne pas laisser échapper pour ne pas s’en repentir après ? Quelles sont les gens les plus nécessaires et avec qui faut-il travailler plus, et avec qui moins ? Quelles sont les œuvres les plus importantes et, par conséquent laquelle faut-il faire avant toutes les autres ?

L’ermite écouta le roi et ne répondit rien. Il cracha dans ses mains et, de nouveau, se mit à remuer la terre.

— Tu es fatigué, dit le roi, donne-moi la pelle, je travaillerai pour toi.

— Merci, dit l’ermite, et, lui donnant la pelle, il s’assit sur le sol.

Après avoir retourné deux massifs, le roi s’arrêta et répéta ses questions. L’ermite ne répondit rien, se leva et tendit les mains vers la pelle.

— Maintenant repose-toi et moi je travaillerai, dit-il.

Mais le roi ne lui donna pas la pelle et continua à creuser. Une heure s’écoulait après l’autre, le soleil commençait déjà à se coucher derrière les arbres. Le roi, enfonçant la pelle dans la terre, dit :

— Je suis venu chez toi, homme sage, pour chercher la réponse à mes questions. Si tu ne peux me répondre, dis-le moi, je m’en irai.

— Attends, vois, quelqu’un court ici, regarde qui ? dit l’ermite.

Le roi se retourna et vit que, de la forêt, en effet, accourait un homme barbu. Cet homme tenait les mains contre son ventre ; au-dessous des mains le sang coulait. Quand il fut arrivé près du roi l’homme barbu tomba à terre et, sans remuer, gémit faiblement. Le roi aidé de l’ermite ouvrit l’habit de cet homme.

Il avait au ventre une large blessure. Le roi le lava comme il put avec son mouchoir et une serviette et l’ermite la pansa. Mais le sang ne cessait de couler. Le roi remplaça plusieurs fois le pansement mouillé de sang chaud, de nouveau lava et pansa la blessure. Quand le sang s’arrêta, le blessé reprit connaissance et demanda à boire. Le roi apporta de l’eau fraîche et lui donna à boire. Cependant le soleil s’était couché tout à fait et la fraîcheur était venue, c’est pourquoi le roi, avec l’aide de l’ermite, transporta l’homme barbu, dans la cellule, et le posa sur la couche de l’ermite. Là le blessé ferma les yeux et parut s’endormir.

Le roi était si fatigué de la marche et du travail, qu’assis sur le seuil il s’endormit aussi et d’un sommeil si profond qu’il dormit toute la courte nuit d’été. Quand le matin il s’éveilla, pendant longtemps il ne put comprendre où il était et quel était cet homme étrange, barbu, qui, couché sur le lit, le fixait de ses yeux brillants.

— Pardonne moi, dit d’une voix faible l’homme barbu, quand il s’aperçut que le roi était éveillé et le regardait.

— Je ne te connais pas et n’ai pas à te pardonner, dit le roi.

— Tu ne me connais pas, mais moi, je te connais. Je suis ton ennemi, celui qui a juré de se venger de toi, parce que tu es mon frère et m’as ravi mon bien. Ayant appris que tu venais seul chez l’ermite, j’avais résolu de te tuer. Je voulais t’attaquer quand tu t’en retournerais, mais toute la journée se passait et je ne te voyais pas. Alors je sortis du traquenard pour savoir où tu étais et je tombai parmi tes compagnons. Ils m’ont reconnu et m’ont blessé. Je me suis enfui mais en perdant mon sang, et je serais mort si tu n’avais pansé ma blessure. Je voulais te tuer, et toi tu m’as sauvé la vie. Si maintenant je reste vivant, et si tu le veux, je te servirai comme l’esclave le plus fidèle, et j’ordonnerai à mes fils d’agir de même. Pardonne-moi.

Le roi était très heureux de s’être si facilement réconcilié avec un ennemi, et d’en avoir fait un ami. Non seulement il lui pardonna, mais il lui promit de lui rendre son bien, et d’envoyer chercher ses domestiques et son médecin.

Après avoir dit adieu au blessé le roi sortit sur le seuil pour chercher l’ermite. Avant de le quitter, il voulait lui demander une dernière fois de répondre aux questions qu’il lui avait posées.

L’ermite était dans la cour. Accroupi près du massif retourné la veille, il y ensemençait des légumes.

Le roi s’approcha de lui et dit :

— Pour la dernière fois, homme sage, je te demande de répondre à mes questions.

— Mais la réponse t’est déjà donnée, prononça l’ermite en s’asseyant sur ses mollets maigres et regardant de bas en haut le roi qui était devant lui.

— Comment, j’ai la réponse ? dit le roi.

— Certainement ! répondit l’ermite. Si, hier, tu n’avais pas eu pitié de ma faiblesse et n’avais pas remué pour moi ce massif, si tu étais retourné seul, ton ennemi t’aurait attaqué et tu te repentirais de n’être pas resté avec moi. Alors le temps le plus opportun était pendant que tu remuais le massif, et moi j’étais l’homme le plus important, et l’œuvre la plus importante était de me faire du bien. Et après, quand l’homme est accouru, le temps le plus opportun était quand tu le soignais, car si tu n’avais pas pensé sa blessure il serait mort sans se réconcilier avec toi. Alors l’homme le plus important c’était lui ; et ce que tu lui as fait était l’œuvre la plus importante. Ainsi, souviens-toi que le temps le plus opportun est le seul, immédiat, et il est le plus important parce que c’est seulement à ce moment que nous sommes les maîtres de nous-mêmes ; et l’homme le plus nécessaire est celui avec qui l’on se rencontre à ce moment, et l’œuvre la plus importante, c’est de lui faire du bien.

Iasnaïa Poliana, août 1903.