« Si l’on commence un type d’histoire, il ne faut pas en finir un autre… »
Dans son livre « Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction », Orson Scott Card met en garde contre cette erreur à éviter quand on écrit un roman, sous peine de décevoir son lecteur.
Pour aider à délimiter correctement le début et la fin d’un récit, il a identifié 4 types d’histoire : Milieu, Idée, Personnage et Évènement.
La méthode d’écriture de Mr Card m’a amené à réfléchir et à me repositionner sur les 2 romans que je travaille en ce moment. Je vais partager avec vous ma compréhension des types d’histoire, car c’est applicable à tout roman même s’il n’appartient pas aux genres cités dans le titre de la méthode (dont voici ma chronique).
Pourquoi définir le type d’histoire qu’on veut raconter ?
La chaîne des causes et des conséquences liées à une histoire commence bien avant le début de celle-ci et continue bien après, à l’infini dans le passé et le futur… Mais alors, comment savoir à quel moment commencer et finir sa narration ?
En fait, ça dépend du type d’histoire que vous voulez raconter. Déterminer cela vous indiquera précisément où poser les bornes de votre roman pour une plus grande efficacité narrative. C’est le lecteur qui va apprécier !
Car, plus ou moins consciemment et ceci, dès le début du roman, le lecteur sent de quel type d’histoire il s’agit, pour peu que vous gériez bien son exposition. Rapidement, il formule des attentes et des hypothèses sur la suite de votre roman. Si vous le commencez à la façon d’une histoire Milieu, le lecteur sera déçu si vous lui servez une fin qui correspond à une histoire Personnage. Pire, il trouvera que le récit se finit en queue de poisson.
Pour illustrer ces 4 types d’histoire et leurs différences, prenons par exemple un groupe de colons qui arrive sur une nouvelle planète. L’histoire commence en réalité loin dans le passé avec l’invention du voyage spatial, et avant ça avec l’apparition de l’humanité. Cette histoire aura aussi des répercutions dans le futur, notamment sur la civilisation qui se développera là-bas et sur la biosphère de l’exo-planète pendant les milliers (milliards) d’années qui suivront.
1- Si c’est une histoire Milieu…
Dans une histoire Milieu, l’auteur veut raconter la découverte d’un monde différent, étrange, surprenant, souvent pour le comparer au monde ou à la société connue du lecteur (parfois dans un but de critique ou de parodie).
En termes de narration, le plus efficace est de commencer au moment où le personnage se retrouve plongé dans ce monde et de finir quand il rentre chez lui. Exemple typique : Les voyages de Gulliver, dans un monde bien différent de la société londonienne de l’époque.
Pour nos colons, l’histoire commencerait avec leur arrivée sur l’exo-planète, par exemple lors du crash de leur navette, et mettrait en avant leur découverte de ce nouveau monde en insistant sur la façon dont ils le perçoivent. Elle finirait avec leur retour chez eux grâce à la mission de sauvetage.
2- Si c’est une histoire Idée…
Dans une histoire Idée, l’auteur va soulever un problème en posant une question au début et en donnant une réponse à la fin.
Le récit doit débuter le plus près possible du moment où le héros se trouve face à l’énigme et se pose la question. Il se finit quand on obtient la réponse.
Classiquement, c’est le type d’histoire des polars : qui a commis le crime ? En science-fiction, ça peut être une sorte d’enquête comme dans le deuxième tome du Cycle d’Ender de Mr Card : pourquoi les Piggies ont-ils tué un xénobiologiste ? (voir mon guide de lecture) Ou comme dans les romans de Robert Charles Wilson (en savoir plus sur cet auteur).
Pour nos colons, cette question peut être « Pourquoi y a-t-il sur cette planète les ruines d’une civilisation qui était technologiquement développée ? Que lui est-il arrivé ? » Le récit commencerait par la découverte des ruines et s’achèverait quand les chercheurs comprennent que cette espèce a été contrainte d’émigrer sur une autre planète après avoir détruit leur environnement (ça vous rappelle quelque chose ?).
3- Si c’est une histoire Personnage…
Dans une histoire Personnage, l’auteur raconte les péripéties d’une personne qui essaie de transformer son rôle dans sa communauté (sans forcément réussir). C’est le cas de la majorité des comédies et des histoires d’amour.
Le mieux est de commencer l’histoire quand le personnage décide que quelque chose doit changer dans sa vie. Soit parce qu’il est malheureux, soit parce que quelque chose (ou quelqu’un) l’attire, avec une exposition aussi courte que possible du contexte. Ça pourra bien sûr être développé par la suite, mais il ne faudrait pas ennuyer le lecteur par une longue description anthropologique du couple, de la famille, de l’entreprise et de la société où vit le héros.
L’histoire finit quand le personnage a achevé sa quête : il a réussi à obtenir un nouveau rôle (celui qu’il voulait ou un autre, que ça lui convienne ou pas) ou alors il a échoué et abandonné (il reste dans son ancienne position).
Parmi nos colons, on peut imaginer un timide qui veut conquérir le cœur d’une femme qui n’a d’yeux que pour les hommes de pouvoir. Le récit démarrerait quand il prend la décision de tout mettre en œuvre pour la séduire. À la fin du roman, on saura s’il a réussi ou non en devenant l’administrateur de la colonie.
4- Si c’est une histoire Évènement…
Dans une histoire Évènement, l’auteur va mettre en scène un bouleversement profond du fonctionnement des choses et du monde connu. Les personnages vont tenter de rétablir l’ancien ordre des choses (s’il est perçu comme l’âge d’or), de trouver un nouvel équilibre (si l’ancien ordre ne leur plaisait pas) ou alors ça aboutira au chaos généralisé.
Il est conseillé de débuter son récit aussi près que possible du moment où le héros va être impliqué dans les évènements qui bouleversent le monde (même si ceux-ci ont commencé il y a très longtemps), et de l’achever par la résolution de la quête (ou par son échec).
C’est la structure des aventures où le monde est menacé par un grand danger, comme dans Indiana Jones ou Star Wars. Dans « BIOS » de R. C. Wilson (lire ma chronique), le personnage principal vient d’arriver sur la planète Isis pour accomplir une mission quand la biosphère de celle-ci « attaque » les colonies humaines qui y sont établies.
Pour terminer avec notre exemple, l’histoire commence avec l’arrivée d’une deuxième vague de colons qui veut exploiter les ressources minières de l’exo-planète mais qui trouble la fragile harmonie trouvée par la jeune colonie qui refuse qu’on pille l’environnement. Cela se finit après la résolution du conflit, peu importe qui en sort vainqueur. C’est un peu le modèle du film Avatar.
Exemple personnel avec mon roman
Pour moi, les types d’histoire m’ont permis de délimiter plus précisément les bornes de mon roman « Les Promesses d’Éa », même s’il n’a pas été facile de réaliser que l’histoire que je voulais raconter était de type Personnage. En effet, Matyas veut sortir de sa condition d’Enfant de l’Atome et le récit s’achèvera quand il aura réussi ou échoué.
Initialement, je souhaitais exposer en détails les évènements qui avaient conduit à une Troisième Guerre Mondiale avant d’expliquer la situation des Cités Orbitales et de présenter mes personnages, notamment les souffrances de Matyas à cause de son statut. Puis d’envoyer tout ce petit monde vers la planète Éa. Mais en fait, le temps d’exposition de l’histoire aurait été beaucoup trop long et ça aurait orienté les attentes de mon lecteur vers une histoire Évènement, avec un questionnement du genre : « comment l’humanité va-t-elle renaître de ses cendres ? » Vous remarquerez que c’est à l’auteur de choisir son type d’histoire car j’aurais pu décider de raconter cela.
En suivant les conseils d’Orson Scott Card, j’ai donc compris qu’il me fallait démarrer mon histoire aussi près que possible du moment où Matyas prend la décision de changer la structure intolérable de cette société inégalitaire dont il est victime.
Toutefois, le fait que ce soit une histoire Personnage ne m’empêchera pas de traiter en pointillés des aspects Milieu (la découverte d’un nouvel environnement) ou Évènement (la création de la nouvelle société humaine) qui seront secondaires dans mon roman.
Et vous, si vous écrivez un roman, à quel type appartient votre histoire ? Cet article vous aide-t-il à mieux placer le début et la fin de votre récit ?
Article écrit par Jérémie
Bonjour!
Octobre 2013, oups, tu lis encore les comm? Parce que C’est super intéressant!
Merci pour ces clés, qui pose les bases de ma nouvelle « Milieu » 🙂
Je comprends qu’on a pas besoin obligatoirement d’une intrigue à résoudre, et comme je n’ai que 16000 signes, j’avais peur de ne pas pouvoir tout faire rentrer !
Moi aussi, je traiterai en pointillés l’Évènement (la création de la nouvelle société humaine).
Intéressant, encore un livre à mettre dans ma pal 😉 merci pour l’aperçu!
J’ai l’impression qu’un des conseils récurrent pour les 4 types d’histoires peut être résumé par la règle du cinéma hollywoodien de la composition des scènes: « commencez tard, finir tôt! »
en effet, c’est un dispositif couramment utilisé de vite plonger le lecteur dans le coeur du sujet, dans l’action et l’émotion. Néanmoins, quelle que soit le type d’histoire, la vitesse d’exposition doit dépendre aussi de l’intention de l’auteur et de l’émotion qu’il veut susciter. Par exemple, l’auteur qui veut rendre une transition abrupte, un choc dans la vie de son héros, va sûrement commencer par créer une bulle de confort, peut être une répétition, bref prendre plus de temps pour préparer ce qu’on nomme l’incident déclencheur.
Bref, je crois que les règles sont à prendre avec des pincettes 😉 par contre, c’est original et enrichissant de réfléchir et d’aborder une histoire non pas par genre littéraire mais par idée. ^-^ à lire donc! Re merci pour la découverte!
Merci pour cette article !
Un très bon résumé du bouquin.
Merci surtout pour m’avoir fait découvrir le livre « Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction », Orson Scott Card. !!
Merci beaucoup, Jérémie, pour ces explications sur les types d’histoire. Cela nous éclaire particulièrement pour éviter de tomber dans un piège qui décevrait le lectorat et nuirait à l’écriture. En ce qui me concerne, j’ai perçu à l’évidence que mon roman en cours d’écriture est de type « évènement », avec des aspects secondaires de type « idée » et « personnage ». Bonne continuation.
J’ai eu du mal à comprendre vraiment le fonctionnement de ces « types d’histoires », mais maintenant que j’en ai bien cerné les tenants et les aboutissants, je crois que je vais enfin pouvoir décider d’où je veux aller avec ma petite Klora… En ajoutant à ça ce que j’ai appris avec l’article sur les personnages-enfants, je me sens bien plus capable de raconter sa quête ! Merci beaucoup, j’apprends plein de choses grâce à votre site ! (ou alors je prends conscience de plein de choses, mais le résultat est le même : génial ! :D)
Donc je vais partir sur une histoire Personnage, avec pourquoi pas un peu d’Idée derrière… (Idée c’est bien quand on pose une question, qui peut être plus ou moins grave ? ^^)
Je suis dans le doute total!
Le personnage principal va être en quête de héros (des ‘colons’ issus de la SF) qui, pense-t-il, va changer radicalement le monde dans lequel il vit, lui et les millions d’autres personnes (univers fantasy).
L’idée de cette histoire est partie d’un événement : la célébration des 500 ans de découverte du Nouveau Monde par Christophe (Colomb, pas le chanteur). Quelle aurait été sa réaction en découvrant les USA d’aujourd’hui ?
L’histoire a évoluée sur les 20 dernières années, et le livre va bientôt être fini et je voudrai savoir si je le prends du bon bout.
Oups, je viens de réaliser que les derniers commentaires ont été écrits en 2013… Aurais-je une réponse en 2015!?
Merci pour toutes ces précisions, c’ est un peu plus clair pour moi.
Je n’ai qu’un mot à dire : WAOUH !
Je ne savais pas qu’il y avait différents types d’histoires. La mienne est donc assurément une histoire « Évènement ».
Merci !
Très intéressant, ça à l’air difficile de se rendre compte en effet au début. Je pense que mon récit balance entre le récit événement (qui prédomine) et le récit personnage (présent tout de même) . Mais il y aussi ce récit idée qui me perturbe car il pourrait faire partie de mon roman à cause d’une partie de l’histoire …. mmm c’est assez interresant. Je me demande si je ne vais pas écrire deux version : une version récit événement et une autre version récit idée et je verrais laquelle me conviendra le mieux….. En tout cas merci ! Je crois que j’ai compris enfin mon problème.
Vraiment génial cet article ! C’est pile ce qu’il me fallait depuis des mois. J’avais beaucoup beaucoup beaucoup de mal à placer le début de mon roman, mais grâce à cet article je sais maintenant que mon histoire est de type personnage. Et c’est trop génial parce que je peux enfin réellement débuter l’écriture de ce roman sur lequel je travaille depuis presque… 2 ans je crois sans avoir quasi rien écrit (en même temps j’me presse pas, j’ai travaillé mon idée à fond durant ce temps là. Et puis j’ai le temps j’ai à peine 15 ans donc…) Encore merci, je m’y mets direct !
cimer albert, voilà qui m’aide à trier mes idées
En réponse à Simon :
Personnellement, je ne pense pas que mélanger deux types d’histoire serait une bonne idée. Cela risque de rendre très confus le lecteur qui perdra ses repères ( ou pire, sera déçu !). Il ne comprendra pas alors le « but » de l’histoire, ce qu’elle raconte vraiment. Je pense surtout que tu as de la peine à définir ton style d’histoire et que tu te dis « pourquoi pas les deux » ? Je ne crois pas que c’est la bonne façon de faire. Il faut persévérer à chercher la réponse ou attendre que ton histoire soit mieux installée dans ton esprit pour vraiment savoir de quel type elle est.
A mon avis, le lecteur a vraiment besoin du repère « quel type d’histoire », même si c’est dans son inconscient. Sans ça, il pourra trouver l’histoire brouillon ou en queue de poisson.
Désolée, je ne suis pas sûr d’être très compréhensible… J’espère tout de même t’avoir éclairer ! Après, ce n’est que mon avis, libre à toi d’en faire ce que tu veux, évidemment !
Bonne continuation à toi !
Ooks.
Personnage dévoile un peu mais pas tout et préserve, ainsi le suspense.
Bonsoir,
@ Simon : oui, il est possible de mélanger 2 types d’histoire, mais je pense qu’il est important que l’un des 2 prédomine en marquant l’ouverture et la fin du roman.
Si au début le personnage décide de changer de vie, il faudra qu’à la fin, le lecteur sache si ce personnage a réussi ou échoué. De même que, comme le thème est lancé, il faudra aussi que le monde retrouve un fonctionnement normal, un fonctionnement différent ou sombre dans le chaos ^^.
@ Grace : content que cet article t’ait aidé à éclaircir des choses pour ton roman 😉
Bonne continuation dans l’écriture,
Jérémie
Merci beaucoup ! C’est bien expliquée . Je commence à voir plus clair par rapport à mon roman .
Peut-on mélanger deux types d’histoire ?
Par exemple, le roman commence par la décision du personnage de changer de vie et, au moment où il part de chez lui, il assiste à un évènement type » bouleversement profond du fonctionnement des choses et du monde connu ».
On peut donc ici être confrontés à 2 types d’histoire : Et Personnage et Événement, non ?
Je pense que mon histoire est de type milieu, mais cela est-il possible que le type idée entre en ligne de compte?
Très intéressant vous m’avez aidé pour mon devoir de français